«Désolant!» La réaction du Syndicat des commissaires de la police nationale ne s'est pas fait attendre. Jeudi, comme l'a révélé RTL, le
tribunal correctionnel de Créteil a remis en liberté dix dealers présumés, à la suite d'une erreur de procédure d'un juge d'instruction. Le magistrat a fait une confusion entre deux dates
dans le calendrier de sa propre enquête, rendant alors la détention des suspects arbitraire. Et la police ne décolère pas.
Ce dossier était pourtant emblématique du «travail de fourmi» des enquêteurs pour faire tomber un réseau de drogue. Et quel réseau! Une fratrie de
Champigny-sur-Marne, qui avait mis en coupe réglée la cité des Boullereaux, considérée alors comme la deuxième plaque tournante du trafic de cannabis dans la région parisienne.
«Bienvenu à Shitland!»
L'un des trafiquants présumés était basé aux Pays-Bas, d'où provenait le cannabis, acheminé par «go fast», ces livraisons par voitures rapides. Les dealers
faisaient régner la terreur dans la cité des Boullereaux, où ils avaient inscrit sur les mur «Bienvenu à Shitland!», rackettant les
riverains au quotidien, leur faisant payer parfois dix euros pour emprunter l'ascenseur des HLM, leur prélevant même, de temps en temps, une partie de leur courses quand ils rentraient du
marché. Le réseau avait été démantelé à l'automne 2011.
«Le pire, c'est que ces trafiquants vont revenir parader au nez et à la barbe des témoins, qu'ils pourront les menacer, faire des pressions de toute sorte
sur de braves gens et que rien garantit désormais qu'ils se présenteront tous à leur procès prévu en avril», s'indigne un officier de police du Val-de-Marne, écœuré.
Deux ans de travail pour la police
«On ne jette pas la pierre aux magistrats, nuance le patron du Syndicat des commissaires, Emmanuel Roux, mais cette bévue aura un lourd impact. Alors que les
services d'investigation ont tout donné pendant deux ans sur ce dossier», déclare-t-il.
«La procédure judiciaire, depuis la loi Guigou et tous ses avatars, est devenue tellement complexe qu'elle fait le jeu des voyous. Et la garde des Sceaux,
Christiane Taubira, voudrait en rajouter une couche avec sa conférence de consensus et toutes ces réformes angéliques qui ruinent le travail de la police», renchérit Patrice Ribeiro, le
secrétaire général de Synergie-Officiers.
Jean-Claude Delage, le secrétaire général d'Alliance (gradés et gardiens), affirme, pour sa part: «Il serait bon que la justice s'applique le même degré
d'exigence qu'elle réclame aux policiers. Or cette affaire, qui se résume aujourd'hui à ce que des délinquants présumés attendent tranquillement leur procès dehors, est dans la triste
logique de ce que nous prépare la Chancellerie, sous l'impulsion de Mme Taubira, qui ne croit pas aux vertus de l'incarcération». «Alors que dans une telle affaire, la prison a au moins
l'avantage d'éviter d'exposer plus longtemps les victimes à ceux qui leur pourrissent la vie», estime un responsable policier du Val-de-Marne.
Un dossier «singulièrement fragilisé»
Le procès du réseau de «Shitland» doit avoir lieu en avril. Les suspects encourent en principe des peines de prison ferme, mais «le dossier est
singulièrement fragilisé», estime un magistrat du Syndicat de la magistrature.
L'un des avocats des suspects, Me David-Olivier Kaminski, se réjouit, quant à lui, de la décision du tribunal de Créteil: «Il n'y a pas de scandale, dit-il.
Le scandale, c'est de ne pas appliquer la loi. On ne peut pas dire qu'il faille condamner les délinquants avec sévérité si les juges n'appliquent pas la loi. C'est une victoire pour la
justice».
Le syndicaliste Jean-Claude Delage en appelle, de son côté, à Manuel Valls. «Le ministre de l'Intérieur a demandé depuis des mois, assure-t-il, à sa collègue
de la Justice qu'elle reçoive les syndicats de policiers. Or, la garde des Sceaux ne nous a jamais reçus depuis sa nomination.» A l'entendre, le rapprochement police-justice, professé par
le gouvernement, serait «à sens unique».